Ceux qui ont lu mes dernières chroniques indiennes le savent.
J'ai de plus en plus de mal à me sentir dépaysée en Inde, surtout lorsque je voyage seule. Du coup, je regarde ce pays avec un oeil beaucoup plus critique, en tentant de ne pas me faire aveugler par la fascinante beauté de ses contrastes. Les turbans, les sarees chatoyants, les souvenirs bling bling, le chaos, le bollywood masala ne m'emoustillent plus trop.
Incredible India qu'ils disent sur les campagnes publicitaires touristiques indiennes? Ouaih incrédibeul, mais loin des circuits touristiques, plutot dans l'intimité des familles que je cotoie.
En 2009, lors d'un de mes voyages en Inde, j'ai eu le choc de découvrir que l'enfant (ado) d'un couple d'amis indiens était adopté. Ce fut un choc pour moi car je ne l'avais jamais réalisé, malgré nos conversations dont la pertinence des propos auraient du me mettre la puce à l'oreille ! Et j'ai eu un encore plus grand choc d'apprendre que cet enfant ado le savait à peine, et depuis peu de temps. Et que quasi personne de leur entourage le savait. M a première réaction de mi -européenne fut de leur dire que "si si il faut lui dire, assumer sa différence etc".
Bien sûr qu'il faut le dire à son enfant, c'est son histoire. Et puis chez nous c'est facile, l'adoption est bien acceptée par notre société, elle devient presque tendance, c'est pas la honte d'être adopté, loin de là.
Mais lorsqu'on vit dans une communauté indienne aux principes rigido-bornés, où les règles communautaires sont strictes, ou castes, "society" et lois du sang sont au dessus de tout, la donne est différente.
Malgré la richesse de cette famille d'un point de vue matériel, éducatif et social, à force d'arguments bien choquants et concrets, ces parents finirent par me convaincre (presque !) qu'ils avaient fait le meilleur choix pour leur enfant. Nous sommes bien loin du couple de parents qui n'assument pas leur adoption et préfèrent zapper le sujet délicat. Non, ici je vous parle d'un couple simple et charmant, malgré leurs fortunes et réussites, brillants par leur esprit et leur gentillesse. Et qui n'excluent pas de finir leur vieux jours en s'occupant d'un orphelinat tant ils sont convaincus par l'adoption ! Mais ils vivent dans une petite ville dans un état indien peu connu pour sa tolérance... Ils ont analysé leur situation et tiré leurs conclusions bien avant moi, et la seule solution qu'ils ont trouvé pour préserver leur enfant était de lui cacher cette adoption, afin que l'info ne se diffuse dans leurs tissu social peu open à la différence.
Car oui, vaut mieux éviter que ça se sache, pour éviter les préjugés, les ségrégations, le propos racistes ou blessants et surtout l'exclusion sociale de leur enfant au sang incertain d'après les coutumes. Le revers de la médaille est monstrueux pour ces parents qui passent leur temps à stresser et éviter que leur enfant se retrouve seul avec ceux qui savent. Ils le couvent, le protègent, en espérant que cela ne portera pas préjudice à leur enfant, surtout lorsqu'il s'agira de traiter son mariage d'ici quelques années. Et l'enfant dans tout ca ? Il aurait compris depuis peu, refuse d'aborder le sujet, et continue sa vie comme si de rien n'était. Affaire à suivre. Mais pour l'instant j'avais en face de moi une famille fusionnelle d'amour et brillante de son intellect. Mais entourés de bcp de
Dans leur monde, ils ne sont pas libres d'assumer l'adoption de leur enfant comme ils le souhaiteraient, et cela me rend songeuse quant à la chance que j'ai, et que vous avez lecteurs adopteurs, d'assumer à fond l'adoption de vos enfants, sans avoir à en redouter les conséquences. Nous avons une liberté que beaucoup de familles n'ont pas, la chance de vivre dans une société malgré tout bien tolérante avec notre filiation différente. Cela est loin d'être vrai tout autour du globe, sans forcémment être une histoire de richesse.
La liberté flouée en Inde, plus j'y vais, et plus je la vois. Je la vois chez ces femmes qui marchent tête baissée derrière leurs maris, qui bossent à leurs taches ménagères sous le regard de ces hommes qui clopent. Pire je la devine dans ces rues du Pendjab vides de femmes car elles restent à la maison et n'ont pas le droit de sortir. Je l'entends la nuit, lorsqu'une femme se fait battre par son mari. Je la devine dans les regards de domestiques, à la merci des caprices de leurs patrons. Je la ressens comme si c'était la mienne lorsqu'une indienne me raconte qu'elle avait été renvoyée d'une cérémonie prénuptiale car sa stérilité aurait porté malheur. Et il y a ces ados qui ne feront pas les études dont ils rêvent pour se plier aux volontés de leurs parents ou qui renoncent à leur amour pour se plier au traditionnel "it is arranged but oh it is a love marriage" (arrangé par la famille oui, love plus tard faut voir...), ces femmes qui ne travailleront plus, car cela ne se fait pas quand on est mariée dans certaines castes pourtant élevées. Elle l'est aussi chez un de mes proches, qui n'avouera jamais son homosexualité à son entourage. Et qui donc ne vivra jamais au grand jour un quelconque amour si amour y a. Et qui selon moi fout sa vie en l'air, pour ne pas faire de la peine à ses parents.
Moi la voyageuse au regard extérieur, je devine beaucoup de secrets de famille et suis souvent la confidente de nombreux proches qui savent que je ne les jugerai pas comme beaucoup d'indiens le feraient s'ils savaient. Je suis ainsi souvent malgré moi la témoin des mochetés et aberrations sociales de ce pays bien cachées sous la couche de vernis clinquante et imposante de la tradition de ce pays. Heureusement les choses changent mais je rencontre tant de gens prisonniers de coutumes ancestrales, de non-dits....
Je ressens moi aussi une petite perte de liberté dans mon quotidien de voyageuse. Celui que j'ai le plus de mal à suppporter est celui des hommes qui me jugent. Dans les bleds paumés aux groupes célibataires oisifs trainant dans les rues, je fais gaffe à ne jamais soutenir un regard masculin, et je sais que lorsque je vais troquer la coupe "sac large" des salvar kamiz contre un tshirt un peu moulant ou décolleté m'obligera à assumer toute la journée des regards lubriques. Mais moi les salvar kamiz j'aime pas en mettre lorsque je dois shooter ou transhumer entre deux villes, car une tenue sans poches et avec dupatta qui passe son temps à fuir mes épaules, ce n'est pas ce qu'il y a de plus pratique. Et j'aime plus les mettre tout court, voilà tout ! Mais malgré tout je me plie à la mode sac patate lorsque j'ai envie de faire ma transparente... Aussi, récemment, j'ai compris que mes voyages solos faisaient jaser lorsqu'on m'a demandé avec un regard dubitatif si j'étais chaperonnée pour faire mon voyage !!! Pensez, une femme qui voyage seule, shocking !!!!
Et puis, il y a toutes ces mères à qui on a interdit de l'être pour un enfant. Qu'on pousse au tragique abandon car elle n'est pas encore mariée et devrait être encore vierge, ou parce que avoir encore une fille ça craint et ca coutera cher le jour du règlement de la dot donc vaut mieux s'en débarrasser tout de suite, alors file moi le paquet et remballe ton amour maternel pour un enfant qui le mérite, c'est comme ca et pas autrement sinon je te fous à la rue...
La liste est longue, et mes exemples sont assez banals et pas forcémment les plus pertinents. Car il y en aurait des choses à dire sur la censure, les tortures, les droits de hommes bien souvent baffoués et pointés du doigt par Amnesty International et cie.
En tout cas, moi, ce que je sais, c'est que le deuxième chose que je retrouve avec le plus de plaisir au retour de mes pérégrinations indiennes (le premier étant les retrouvailles familiales of course !), c'est ma liberté de femme.
La photo qui illustre ce blog montre les sculptures faites dans un temple en honneur aux femmes qui ont fait le "sati", càd qu'elle se sont suicidées sur le bucher de leur mari tout juste décédé. Souvent ces femmes ont été "aidées" et poussées pour le suicide. Comme on peut le voir sur cette photo, ces femmes sont vénérées et respectées par la population malgré l'interduction du sati depuis un siècle. Je me souviens de ce père qui amenait sa jeune fille de 6-7 ans devant un de ces murs pour lui inculquer des valeurs... bien indiennes... Encore une qui encaissera les coups plutot que de divorcer.
6 commentaires:
Quand on lit des bouquins d'auteurs indiens contemporains, on prend cette réalité de la société indienne dans la figure, et ça ne fait effectivement pas du tout rêver (et c'est parfois très violent). Ce qui en fait des livres, certes très bien écrits, mais pas drôles du tout...
Merci, Moushette, pour ton éclairage très intéressant et juste (dans tous les sens du terme).
Tout en étant aussi très critique, j'aurais un certain nb d'avis différents sur les points que tu abordes... Mais juste au sujet de la photo: ces stèles se trouvent en général dans un mur au pied d'un fort,essentiellement au Rajasthan, et commémorent non pas le sati (même si c'est ce terme qui est svt utilisé) mais la pratique collective du "jauhar" aux temps des guerres rajputes, lorsqu'en cas de défaite certaine du clan les femmes ET les enfants choisissaient de s'immoler collectivement pour éviter de tomber aux mains des ennemis. Ce suicide collectif galvanisait encore + les guerriers qui à leur tour se faisaient tuer jusqu'au dernier plutôt que de se laisser capturer, puisqu'ils n'avaient "plus rien à perdre".Assez sanglant, je l'avoue...mais c'est donc surtt "une page d'histoire" illustrant "la bravoure et l'héroïsme" des femmes et des enfants tout autant que des hommes qui est en général raconté aux enfants par leurs parents...Pour plus d'infos: http://en.wikipedia.org/wiki/Jauhar
BF
Voilà des arguments auxquels je pense peu. Merci Moushette d'apporter cet éclairage et de me faire réfléchir sur ce qu'est la liberté.
Moi ce qui m a le plus horripilé lors de mon stage au Bangladesh ( 3 mois avec une ONG basée en Suisse), est que presque toutes les filles de 15 ans étaient déjà mariés. Ces marriages forcés des adolescentes et ces grocesses quasi imposés ( violés la pluspart du temps , ou du moins contraintes par les pressions sociales) aggrave encore plus les problèmes de malnutrition infantile qui sont particulièrment répandus dans cette région du monde. Mais aussi que même les femmes qui travaillaient pour l ONG, qui a l interne aimerait favoriser la promotion de leur staff féminin pour contrebalancer ces inégalités, ne réussit pas a trouver du staff qualifié féminin pour serait d accord de travailler à ces poste de responsabilités/ cadre. S est incroyable quand même cette influence de société. J'adore cette région ( que ce soit l Inde d ou je suis née, le Bangladesh ou j ai fait mon stage, ou le népal par lequel je suis passée, mais voudrais retourner un jour.) mais malheureusement pour toutes ces questions de culture et de mauvaise considération de la femme, je ne pourrai jamais travailler dans une société pareille. Que je le veuille ou on, je suis bien occidentale et un tant soit peu féministe.
@mango : mais heureusement aussi en Inde, les choses changent, notamment dans la middle class. De plus en plus de femmes travaillent, y compris à des postes à haute responsabilité. L'Inde s'occidentalise "par le haut", tout en restant ancré dans leurs traditions, certaines positives, d'autres bcp moins... Mais y a encore bien du boulot, notamment pour la condition de la femme comme tu dis si justement !
Enregistrer un commentaire