La plupart de nos enfants adoptés sont ce que j'appelle souvent des "Survivors". Des Survivors, j'en trouve aussi beaucoup chez nos petits français "bios", notamment chez ceux ont combattu ou combattent encore des maladies et des handicaps lourds dans les premières semaines/mois de la vie ou ceux qui ont vécu de lourds traumas. Ils ont souvent un fort caractère et croquent la vie à pleine dent, comme s'ils savaient déjà à quel point elle peut être précieuse et fragile, et qu'il faut vivre l'instant présent à fond, au cas où le futur deviendrait plus noir !! Je suis certaine que chacun de mes lecteurs connaît des petits survivors, croisé dans la famille, chez de amis ou à l'école... J'en connais pas mal, et ils ont souvent une place spéciale dans mon coeur.
Chez les enfants adoptés, il y a aussi beaucoup de Survivors. D'ailleurs, les enfants adoptés ne le sont-ils pas tous, un petit peu, des survivors ? Même si leur passé avec leur famille de naissance ne dépasse pas quelques jours voire quelques heures, et qu'ensuite ils ont été rapidement adoptés, je sais qu'en Inde ils ont survécu au pire. Je le sais, lorsque l'on me parle encore et encore des infanticides de nouveaux-nés sur le ton le plus léger du monde, et lorsque je vois les responsables d'orphelinat quitter précipitamment leurs fonctions en courant, car un enfant est né dans un village, et qu'il faut vite aller le récupérer avant que le pire n'arrive...
Il y a aussi ces enfants plus grands, qui ont un lourd vécu dans leur famille de naissance. Certains parents l'apprennent avant l'adoption, grâce au travail des psychologues des orphelinats et rapports inclus dans les dossiers, et acceptent d'adopter leur enfant en connaissance du passé lourd de l'enfant. Mais ces cas sont rares, car les enfants acceptent rarement de se confier aux psychologues lorsqu'ils sont à l'orphelinat car le contexte ne s'y prête pas et que les souvenirs sont trop "frais" et douloureux. Dans d'autres cas les sévices sont connus "grâce" aux marques laissées sur le corps, et même si l'enfant semble avoir tout oublié, son corps crie ces traumas.
Mais dans la plupart des cas, les parents adoptent les enfants sans rien savoir ou presque sur la vie passée de l'enfant, et ne le sauront jamais puisque l'enfant a tout oublié et n'acceptera jamais que ces moments dramatiques quittent son inconscient pour se loger dans son conscient. Mais dans certains, notamment dans le cadre d'adoption d'enfants grands, des souvenirs de leur vie passée peuvent se débloqués une fois adoptés. Leur nouvelle vie familiale peut leur évoquer des situations ou des sentiments vécus avec leur première famille indienne, et de faits vécus dans le passé peuvent revenir sous forme de flashs ou de récités plus détaillés. Ainsi, la vision de sa vie passée de l'enfant peut devenir plus claire pour lui et pour sa famille : cela peut être des souvenirs heureux, des anecdotes qui donnent un ordre d'idée sur le niveau social de la famille, ou au contraire des violences ou le récit de l'abandon et de ses raisons.
Mais méfiance par rapport à tous ces mots ! Certains enfants peuvent développer un imaginaire sans bornes sur leur vie dans leur pays d'origine, en inventant violences, situations noires (car la peur d'être ramenés dans leur pays d'origine rend leur souvenir du pays assez noire) ou bien au contraire raconter un vie idyllique peuplé de maharajahs, de montagnes de jouets, de palais des mille et une nuits et des situations rocambolesques (notre junior nous a juré craché qu'il avait déjà skié en Inde !!!)... Et aussi, côté parents, il peut y a voir une "sur-interprétation" des paroles ou des actes de son enfant, pour tenter de remplir comme on peut les vides de ses interrogations ! (bin oui il a déjà skié en Inde, la preuve, il a appris à skier parallèle en une semaine !!!).
Dans le cas des adoptions d'enfants très grands, les souvenirs sont généralement fiables, et les parents découvrent souvent des histoires violentes, brutales, horrifiantes : enfants battus, enfants ayant vécu et vu mourir un de leurs parents de naissance, vie de sdf, mendicité, exploitation de l'enfant sous forme de "child labour", famines, pauvreté, policiers violents... C'est souvent très rude et difficile pour ces parents de découvrir tout cela "sur le tard". Mais cela fait partie du "package" l'adoption des enfants grands. C'est à la fois difficile de savoir, mais surement mieux que le trou noir inconnu qui accompagne les "tout-petits" incapables de se souvenir ou de verbaliser et qui n'ont que le néant pour répondre à leurs "pourquois"...
Ce lourd fardeau qu'est le passé violent de leurs enfants est difficile à porter pour ces parents, et souvent impossible à partager, tant cela touche l'intimité de son enfant. On est heureux de voir son enfant croquant malgré tout la vie à pleine, dents, mais on se ronge le sang en songeant au passé, aux possibles conséquences en mode "bombe à retardement"pour sa vie d'ado et d'adulte, et on passe souvent beaucoup de nuits blanches à revivre et à douter, imaginer ces moments noires de la vie de son enfant en se disant des "et si .... ?". Et on a est triste pour lui, pour tout ce qu'il a du souffrir et endurer, et qu'on n'était même pas là pour le protéger !
Alors, comment ne pas porter un regard différent sur son enfant lorsqu'on sait, lui "qui l'a échappé belle" ou " qui a tant souffert", ou pire "qui a plus souffert que les autres"? Difficile exercice que d'être un parent juste, et ne pas regarder notre enfant comme ce "survivor" plutôt que comme un simple enfant... Difficile aussi d'avoir une fratrie "mixte" avec des enfants adoptés et des enfants "qui eux n'ont pas été abandonnés puisqu'ils sont sortis de mon ventre et ont toujours eu une vie dorée, eux...".
C'est difficile mais nécessaire de ne pas regarder son enfant comme un Survivor et de gommer le plus possible cette étiquette pour la vie au quotidien, car parentalité et pitié ne doivent pas rimer ensemble ! Alors il faut plier et ranger soigneusement ces souvenirs au fond d'un tiroir fermant à clé, et ne l'ouvrir qu'occasionnellement, voire uniquement lorsque l'enfant est prêt et vous demande la clé... Et ne pas subir la tentation d'aller l'ouvrir en douce, régulièrement, pour humer ses effluves qui risquent de troubler son regard de parent sur son enfant...
Photo du secrétaire qui appartenait à ma grand-mère et qui est maintenant chez nous : lorsque j'étais petite, ma grand-mère aimait me montrer les lettres précieuses et secrets qu'il contenait...
5 commentaires:
Très justement, un parent adoptif m'a fait remarquer sur facebook que l'on ne peut ranger et fermer son tiroir lorsque l'enfant souffre au quotidien de son vécu dans son pays d'origine. Que le dernier chapitre de mon billet est exactement ce qu'il souhaiterait, mais que son quotidien avec son enfant lui empêche de faire. Très juste, mon billet est plutot ecrit pour les familles ou l'enfant d'apparence "va bien" et va de l'avant, sans aucun besoin d'accompagnement spécifique lié à son lourd passé. J'espère donc ne blesser personne avec ce billet, et surtout pas les familles où les enfants sont en souffrance.
Je ne savais pas que " les enfants acceptent RAREMENT de se confier aux psychologues lorsqu'ils sont à l'orphelinat "
Je pensais qu'avec le temps ...
Encore merci car tes écrits aident ma famille à accueillir au mieux notre fille.
@mirtille : je ne l'ai pas mis dans le blog mais je le pense fort : lorsqu'il y a des psychologues qui voient les enfants. Et souvent les psychologues viennent pr évaluer les capacités de l'enfant, son "IQ", et pas pour fouiller le passé.
Les enfants peuvent se confier au "petit" personnel aussi, qui ne comprend pas l'importance des mots, qui oublie vite (car ils racontent tous la même chose !) ou ne transmet pas aux responsables. L'importance de connaître le passé et de raconter TOUTE la vérité aux parents n'est pas toujours une notion évidente pr les responsables d'orphelinats, tristement...
Effectivement, d ou le fait de l importance de connaitre tout le personnel qui a travaillé pendant que l enfant a été là bas.
Je pense bientot retourner en Inde pour la 3 ème fois et cette fois ci, j ai réussi à avoir le contact des personnes qui s étaient occupés de moi les 2 années que j y étais, car je ne me souviens de rien. Je pense que ces petites choses là sont utiles. Le " home " n existe plus, ma dernière visite je suis allée le visiter, mais c est devenu une maison résidentielle. Là, au prochain voyage, je vais " enfin" pouvoir discuter et rencontrer la personne qui à l époque avait écrit mon dossier, mais aussi les ayahs qui s étaient occupés de nous, et peut etre des filles plus grandes qui elles , n ont pas été adoptés.
@mango : Quelle chance tu as de pouvoir retrouver celles qui se sont occupées de toi, et qui géraient ton dossier lorsque tu étais en Inde. Tu vas sans doute apprendre bien des choses sur ton passé. Comme je disais récemment à la resp. de l'orphelinat d'un de mes enfants, c'est comme retrouver des pièces d'un puzzle incomplet qui peuvent faire toute la différence pour comprendre l'image générale... Je te souhaite plein de bonheur pour ce voyage !
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